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Végétalisation de l’alimentation et augmentation de l’espérance de vie : décryptage

Selon une vaste étude publiée en début d’année dans la revue PLOS Medicine, faire évoluer notre alimentation vers plus de végétal pourrait allonger notre espérance de vie d’une décennie. Comme l’explique le professeur Lars Fadnes, auteur principal, dans un communiqué de presse, les auteurs ont également mis au point un simulateur assez ludique et ouvert au public permettant d’estimer le nombre d’années de vie que vous pourriez potentiellement gagner en modifiant vos habitudes alimentaires. Décryptage.

Dr Hervé Dréau

Contexte et méthodes

Cette étude de type simulation réalisée par une équipe norvégienne de Santé Publique et intitulée “Estimating impact of food choices on life expectancy: A modeling study” s’intéresse à l’impact de la consommation de grands groupes d’aliments sur l’espérance de vie.

L’alimentation est un facteur de risque majeur pour la santé et on estime son impact annuel à 11 millions de morts et 255 millions d’années de handicap au niveau mondial (diabète, obésité, AVC, cardiopathie ischémique, etc). Par le passé, différentes études ont montré qu’une alimentation saine, accompagnée d’une activité physique suffisante et d’une absence de tabagisme pourrait, en moyenne, augmenter l’espérance de vie de 10 à 15 ans.

Cette étude ne crée pas d’informations nouvelles, et on peut la voir comme un agrégateur de méta-analyse de sujets différents, les méta-analyses étant déjà elles-mêmes des agrégations d’études mais étudiant une exposition spécifique. Elle part des méta-analyses les plus récentes et/ou les plus complètes comportant des éléments permettant le calcul de la relation dose-effet entre la consommation d’un groupe d’aliment et les risques de décès. Elle traduit des connaissances initialement présentées sous forme de risque relatif ou de hazard ratio en termes d’évolution d’espérance de vie. Ces modèles sont appliqués à des tables démographiques d’espérance de vie à différents âges de la vie sur différentes populations américaines, européennes et chinoises.

Cette étude modélise l’effet temporel de ces changements alimentaires : les effets d’un changement d’alimentation ne sont pas instantanés et nécessitent une certaine durée pour s’appliquer pleinement. Ainsi, la modélisation principale est faite sur un plein effet après 10 ans mais avec une possibilité d’affiner ce paramètre, avec un plein effet plus lent ou plus rapide.

Pour chacun des groupes d’aliment, les auteurs ont défini 3 niveaux de consommation :

  1. un niveau de base, correspondant au niveau de consommation habituellement observé dans l’alimentation typique occidentale) ;
  2. un niveau optimal pour la santé, issu des différentes méta-analyses et basé sur la quantité pour laquelle la mortalité atteint un plateau (sans gain marginal au-delà ou en-deçà) ;
  3. un niveau intermédiaire, atteignable, moins ambitieux, à mi chemin entre le niveau de base et le niveau optimal.

Résultats

Seuls les résultats sur les populations européennes sont présentés ici.

Quel que soit l’âge de début de la transition d’un niveau de consommation de base d’un groupe alimentaire vers un des deux niveaux jugés plus sain, l’impact en termes d’espérance de vie est positif. Toutefois, plus la transition est tardive, moins les bénéfices sont prononcés.

L’impact est le plus important pour l’adoption du niveau optimal de consommation, mais cet impact est bien présent aussi pour le niveau intermédiaire, bien que réduit d’environ 50 %.

Plus la transition est réalisée jeune, plus son impact est important (i.e., jusqu’à plus de 10 ans d’espérance de vie gagnés) même s’il existe encore un effet positif pour les âges les plus avancés, y compris de façon non négligeable à 80 ans (avec un gain relatif d’espérance de vie de d’environ 40 %, soit plus de 3 années). De plus, il y a un effet sexe : les femmes ayant déjà une alimentation plus proche de l’optimal et une espérance de vie plus élevée, elles bénéficient globalement d’un impact moindre que les hommes.

Les actions sur les groupes d’aliments ayant les impacts positifs les plus importants sont :

  • manger plus de légumineuses ;
  • manger plus de céréales complètes ;
  • manger plus de fruits à coque ;
  • manger moins de viande rouge et transformée.

L’étendue des bénéfices de chaque action est liée à la fois à l’effet propre du groupe d’aliment considéré mais aussi à l’écart entre la consommation de base et optimale. Par exemple, les méta-analyses ont aussi montré un fort effet sur la santé de la consommation de fruits, de légumes et de poissons mais les niveaux de consommation typique dans le régime européen sont déjà assez proches des niveaux optimaux.

Âge d’effetNombre d’années d’espérance de vie pour une population européenne suivant une alimentation typique occidentaleGain en années par l’adoption d’une alimentation intermédiaireGain en années par l’adoption d’une alimentation optimisée
HommeFemmeHommeFemmeHommeFemme
À 20 ans 56,362,9+7,6+5,9+13,7+10,4
À 40 ans37,743,4+6,8+5,5+12,3+9,8
À 60 ans2125,1+4,9+4,5+9,1+8,1
À 80 ans8,49,8+1,8+2+3,3+3,5

Espérance de vie gagnée pour un homme de 20 ans européen évoluant vers une alimentation optimisée ou intermédiaire.

Pour chaque groupe d’aliments les quantités sont en grammes.

Espérance de vie gagnée pour une femme de 20 ans européenne évoluant vers une alimentation optimisée ou intermédiaire.

Pour chaque groupe d’aliments les quantités sont en grammes.

Les niveaux de consommation journalier par grands groupes alimentaires retenus sont les suivant :

Groupes alimentairesAlimentation typique occidentaleAlimentation facilement atteignableAlimentation optimisée
Céréales complètes (poids frais)50 g137,5 g225 g (ex : deux fines tranches de pain de seigle, un petit bol de céréales complètes et un peu de riz complet).
Pour les céréales complètes, 225 g de poids frais correspondent à environ 75 g de poids sec.
Légumes250 g325 g400 g (ex : une grosse tomate, un poivron, de la salade, un demi avocat et un petit bol de soupe de légumes)
Fruits200 g300 g400 g (ex : une pomme ou une banane ou une orange ou un kiwi, et une poignée de baies)
Noix et oléagineux0 g12,5 g25 g (ex : 1 poignée de noix)
Légumineuses (réhydratées)0 g100 g200 g (ex : une grosse tasse de haricot, de lentilles ou de pois)
Poisson50 g125 g200 g (ex : une grosse tranche de hareng)
Œufs50 g37,5 g25 g (1 demi œuf)
Produits laitiers300 g250 g200 g (ex : l’équivalent d’une tasse de yaourt)
Céréales blanches150 g100 g50 g (ex : pain blanc)
Viande rouge100 g50 g0 g
Viande transformée50 g25 g0 g
Viande blanche75 g62,5 g50 g
Boissons sucrées500 g250 g0 g
Huiles végétales d’assaisonnement25 g25 g25 g

Conclusion

En conclusion, l’étude de Fadnes présente, d’une façon marquante en quantifiant les années d’espérance de vie gagnées, une synthèse robuste d’une grande quantité de travaux récents montrant l’intérêt majeur de végétaliser son alimentation pour sa santé. On retrouve ici l’effet positif global des régimes Méditerranéen, végéta*iens, ou avec un bon “Healthy Eating Index” [1].

Il est nécessaire de garder à l’esprit qu’en terme d’optimisation de l’espérance de vie, l’alimentation fait partie d’un tout et s’intègre avec d’autres déterminant d’une hygiène de vie plus globale : activité physique adaptée, consommation tabagique et alcoolique faible ou nulle, etc. 

Simulateur

Les auteurs ont également mis au point un simulateur assez ludique et ouvert au public permettant d’estimer le nombre d’années de vie que vous pourriez potentiellement gagner en modifiant vos habitudes alimentaires.

Choisissez votre lieu d’habitation, votre âge et votre genre, puis faites varier les curseurs pour indiquer votre consommation passée des différents groupes alimentaires ainsi que votre nouvelle consommation de ces groupes. Les résultats s’affichent en temps réel sur le graphique en haut de page.

Discussion

Les auteurs ne créent pas de nouvelles informations mais agrègent des informations déjà existantes, publiées dans d’autres articles. Ils utilisent des informations fiables, en tout cas dans la limite de ce que l’on sait faire actuellement dans l’analyse des liens entre alimentation et santé, qui est un sujet particulièrement complexe.

De façon générale, l’établissement d’une méta-analyse de qualité nécessite une sélection rigoureuse des études prises en compte grâce à l’établissement de critères d’exclusion et d’inclusion précis. Il est complexe d’obtenir des études de qualité en épidémiologie nutritionnelle, mais les méta-analyses bien menées veillent à quantifier la qualité des études prises en compte et à écarter celles de très mauvaises qualités. Ici, la plupart des méta-analyses sur les différents groupes d’aliments ont un niveau de qualité de preuve jugé moyen ou bas en utilisant le score NutriGrade [2].

Seule la méta-analyse sur les céréales complètes a un score élevé. Le score est modéré pour le poisson, la viande transformée, les fruits à coques, la viande rouge, les légumineuses et les produits laitiers, faible pour les légumes, les fruits, les boissons sucrées et les céréales raffinées et très faible pour les œufs et la viande blanche. Au global, le méta score Nutrigrade de la qualité de preuve pour les effets positifs rapportés pour une transition vers une alimentation optimale ou une alimentation intermédiaire est modéré. 

Les auteurs ont utilisé différentes analyses de sensibilité pour tester la robustesse de leurs hypothèses en particulier sur la période de latence d’effet de changement de régime et sur le caractère plus ou moins isolé des effets de chaque groupe d’aliments. Cela ne change pas radicalement leurs conclusions. En plus d’une estimation ponctuelle de la taille de l’effet, celui-ci est toujours accompagné d’un intervalle de confiance à 95 % permettant de mieux le caractériser. De plus, une grande partie du matériel d’étude des auteurs est librement disponible.

Enfin, une étude similaire s’intéressant cette fois à l’impact de la végétalisation de l’alimentation sur la qualité de vie et l’espérance de vie sans limitations fonctionnelles serait intéressante et bienvenue.

Pour aller plus loin

Pour compléter cette synthèse et mieux analyser cette publication, il peut être utile de regarder plus en détail les méta-analyses sources, en particulier l’étude de Schwingshackl L et al. (“Food groups and risk of all–cause mortality: a systematic review and meta–analysis of prospective studies”) qui sert de base à 8 des 14 évaluations de l’effet des groupes d’aliments figurant dans l’article.

Il s’agit d’un ensemble de méta-analyses d’études, surtout observationnelles, mais aussi de suivi d’études interventionnelles, avec une revue de la littérature importante prenant en compte un nombre élevé d’études analysant les liens entre mortalité toute cause confondue et consommation de différents groupes d’aliments sur une période d’au moins 10 ans et permettant d’estimer une relation dose-effet . Pour donner une idée de l’ampleur du travail, ont été retenues :

  • 19 études sur les céréales complètes
  • 4 sur les céréales raffinées
  • 37 sur les légumes
  • 34 sur les fruits
  • 16 pour les fruits à coques
  • 17 sur les légumineuses
  • 8 sur les œufs
  • 27 sur les produits laitiers
  • 39 sur les poissons
  • 12 sur la viande rouge
  • 7 sur la viande transformée
  • 5 sur les boissons sucrées

La plupart des études incluses présentent leurs résultats avec des risques ajustés sur des co-variables d’importances ce qui permet de prendre en compte quelques biais. Une analyse de la qualité des études incluses et de la qualité globale de la preuve a aussi été réalisée.

Au sein de chacune des sous méta-analyses, il existe une importante hétérogénéité des populations (origine géographique, sexe, statut socio-économique, etc) et des protocoles (durée de suivi, validation des consommation par un professionnel de santé ou purement déclaratif, etc.).

En fonction des groupes d’aliments, les effets ne sont pas forcément retrouvés dans les différents sous-groupes et il est donc difficile de conclure si cela est dû à l’existence d’une réelle interaction (avec une hétérogénéité à respecter et un effet réel différent selon le sexe, l’origine géographique, etc), de bruit statistique ou à un défaut de puissance. Le lien entre niveau de consommation d’un groupe d’aliment et mortalité n’est pas toujours linéaire et des relations plus complexes peuvent exister : par exemple, des courbes ayant la forme d’un “J” (le risque est minimal pour un niveau faible mais non nul de consommation) pour les produits laitiers et la viande rouge ont été constatés dans certaines études).

Il faut garder en tête que ce type d’études s’appliquent à des populations via un effet moyen, ainsi l’extrapolation de ces résultats pour prédire des situations individuelles aux caractéristiques particulières n’est pas garantie.

L’analyse par sous-groupe d’aliment prend plus de sens si on peut relier la variation de la consommation d’aliments avec des mécanismes physiopathologiques de maladies spécifiques : action anti inflammatoire et anti oxydative des fruits, légumes et noix ou action pro-carcinogène de la viande transformée par exemple.

Notes et références

Notes et références
1L’Healthy Eating Index mesure l’adéquation d’un régime aux recommandations nutritionnelles américaines
2Le score NutriGrade est une notation de la qualité des études dans la recherche en nutrition
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