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Rapport de Safe Food Advocacy Europe : les associations véganes sont-elles opposées au Nutri-Score ?

Le Nutri-Score est un système d’étiquetage volontaire qui informe sur la qualité nutritionnelle des aliments. Initialement lancé en France en 2017, la Commission européenne étudie actuellement le fait de le rendre obligatoire en Europe. Au niveau européen, ce projet rencontre une forte résistance principalement portée par des lobbys agroalimentaire et agricoles, notamment italiens. Safe Food Advocacy Europe (SAFE), qui représente 33 associations, a récemment publié un rapport contre la mise en place du Nutri-Score à l’échelle européenne. Parmi ces 33 membres, 12 sont des associations qui promeuvent un mode de vie végane, une surreprésentation qui interroge.

Nous verrons dans cet article que l’adhésion de ces 12 associations à SAFE n’est pas nécessairement liée au Nutri-Score et que ces associations sont globalement peu représentatives du mouvement végane. Enfin, le Nutri-Score guide la population vers des choix alimentaires mieux alignés sur les recommandations officielles, encourageant par là le rééquilibrage des assiettes en faveur des aliments végétaux, notamment ceux riches en protéines végétales.

À propos du Nutri-Score

Le Nutri-Score est un système d’étiquetage nutritionnel. Apposé à l’avant des emballages, son code couleur (du vert foncé à l’orange foncé) et ses lettres (de A à E), informent sur la qualité nutritionnelle globale des aliments sous une forme simplifiée et complémentaire à la déclaration nutritionnelle obligatoire. Il a été mis en place pour la première fois en France en 2017 en se basant sur les travaux de l’équipe du Pr. Serge Hercberg, l’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) et celle du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP).

Depuis son lancement en France, plusieurs pays ont également décidé de recommander son utilisation : la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg. Ces sept pays sont réunis au sein du comité de pilotage européen du Nutri-Score.

En mai 2020, le Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil relatif à l’utilisation des formes d’expression et de présentation complémentaires de la déclaration nutritionnelle proposait l’instauration d’un “étiquetage nutritionnel obligatoire harmonisé sur la face avant des emballages à l’échelle de l’UE”. Le Nutri-Score, pour l’instant facultatif, répond aux trois critères principaux d’un bon indicateur nutritionnel tel que défini par la Commission européenne (à savoir être interprétatif, simple et associé à un code couleur) et cette dernière devrait annoncer début 2023 si le Nutri-Score est le système retenu.

Décrié par plusieurs industriels, le Nutri-Score a, entre autres, reçu le soutien :

De plus, fin 2020, près de 94 % des Français ont déclaré être favorables à sa présence sur les emballages.

Rapport de l’association SAFE contre le Nutri-Score

Malgré un large plébiscite scientifique, le projet d’imposer ce système d’étiquetage nutritionnel en Europe se heurte à différents lobbys industriels (charcuteries, fromages, etc.) et récupérations politiques. En France, la Confédération générale de roquefort à lancé une importante campagne de dénigrement et, en Italie, l’Autorité italienne de la concurrence s’est faite le relaie des inquiétudes de la puissante filière agroalimentaire en initiant une procédure pour pratique commerciale potentiellement irrégulière.

Au niveau européen, c’est l’association Safe Food Advocacy Europe (SAFE) qui mène la charge. SAFE est une association à but non lucratif basée à Bruxelles dont l’objectif est “de faire en sorte que la santé et les préoccupations des consommateurs restent au cœur de la législation alimentaire européenne” et qui est active dans de nombreux domaines. Point d’attention, les deux directeurs de SAFE sont italiens et l’un d’eux, Luigi Tozzi, a par le passé longtemps travaillé pour la Confagricoltura italienne et le Copa Cogeca européen, deux puissants lobbys agricoles.

Suite à son rapport (Mis)understanding Nutri-Score – Analysis of the algorithm’s shortcomings ((Mauvaise) compréhension du Nutri-Score – Analyse des travers de l’algorithme) du 22 septembre 2022 qui critique fortement le Nutri-Score, SAFE a lancé une campagne qui vise à “sensibiliser le public au manque d’efficacité de l’étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages le plus utilisé en Europe”. Ces positions ont été largement relayées par les industriels alors que plusieurs d’entre-elles avaient déjà fait l’objet d’une réponse de la part de chercheurs en santé publique.

Associations véganes membres de SAFE

SAFE s’appuie sur un réseau de 33 associations membres parmi lesquelles 12 se présentent comme faisant la promotion d’un mode de vie végane, soit plus du tiers, une nette surreprésentation qui a de quoi surprendre.

SAFE mène de nombreuses actions au niveau européen, dont des actions visant la réduction de la consommation de viande, la promotion des aliments végétaux ou la clarification de la législation sur les produits végétariens et véganes, des thèmes propres à rallier des associations prônant une alimentation végétale voire une agriculture biocyclique végétalienne [1] (4 parmi les 12 associations véganes membres), sans pour autant que cela signifie que ces associations soutiennent les autres campagnes de SAFE.

À propos des associations véganes membres de SAFE :

  • Associazione Vegani Italiani Onlus (Italie)
    Association de promotion du végétalisme auprès du grand public. Elle est dotée d’un “Comité technique et scientifique” qui rassemble, entre autres, des professionnels de santé (médecins, biologistes, nutritionnistes, pharmaciens, pédiatres, etc.) et des personnalités. Aucune mention du Nutri-Score sur leur site.
  • VeganOk (Italie)
    VeganOk est une association satellite de l’association Associazione Vegani Italiani Onlus citée précédemment. Elle propose la certification “VeganOk”, le label végane alimentaire le plus répandu en Italie. Sur son site, 11 articles font mention du Nutri-Score, majoritairement de manière informative et neutre. Seul le dernier, publié le 28 septembre 2022, reprend largement la publication de SAFE et ses arguments contre le Nutri-Score. On retrouve d’ailleurs des arguments très douteux : le Nutri-Score ne prendrait pas en compte la nocivité de certains composants des produits d’origine animale (c’est faux), le Nutri-Score appliquerait des règles de calcul inconnues (c’est faux, l’algorithme est public), etc.
  • Förderkreis Biozyklisch Veganer Anbau (Allemagne)
    Association de promotion de la “culture végétalienne biocyclique dans les pays germanophones” sans compétence spécifique en matière de santé. Son objectif est de promouvoir une agriculture biologique en circuit fermé sans élevage et sans utilisation d’engrais et d’intrants d’origine animale. Elle revendique 70 membres et ne fait pas mention du Nutri-Score sur son site.
  • Panhellenic Biocyclic Vegan Network (Chypre)
    Associations d’agriculture biocyclique de Grèce et de Chypre sans compétence spécifique en matière de santé. Aucune mention du Nutri-Score sur leur site.
  • SONVE (Italie)
    SONVE est la “Société Scientifique de Nutrition Végétale” italienne. Elle rassemble des professionnels de santé et des amateurs autour de l’objectif d’informer sur la nutrition végétale. Aucune mention du Nutri-Score sur leur site.
  • The Vegan Organic Network (Royaume-Uni)
    Associations qui vise à faire progresser l’éducation du grand public sur les principes de l’horticulture et de l’agriculture biocyclique végétalienne, elle n’a aucune compétence spécifique en matière de santé. Aucune mention du Nutri-Score sur leur site.
  • The Vegan Society (Royaume-Uni)
    Fondée en 1944 en Angleterre, la Vegan Society est la plus ancienne association végane, elle compte aujourd’hui une cinquantaine de salarié.es et est connue internationalement pour son engagement, son complément en vitamine B12 “VEG1” ainsi que pour sa labellisation d’aliments végétaux. Aucune mention du Nutri-Score sur leur site.
  • The Vegan Society Ireland (Irlande) (pas de site internet, voir la page Facebook)
    La Vegan Society Ireland ne semble pas exister, le logo présenté sur le site de SAFE est celui de l’association “Vegan Irlande”. Créée en 2009, Vegan Irlande est une association à but non lucratif qui promeut la philosophie et l’éthique végétaliennes en Irlande. Pas de site internet ni de compétence spécifique en matière de santé.
  • The Vegan Society Of Luxembourg (Luxembourg)
    Association qui vise à soutenir le développement du véganisme au Luxembourg et à contribuer positivement au changement d’attitude de la société envers les animaux et l’environnement. Aucune mention du Nutri-Score sur leur site.
  • Vegan France (France)
    L’association Vegan France dédiée au développement économique des alternatives véganes en France. Elle fait partie de SAFE et apporte son expertise uniquement sur les alimentations végétales d’un point de vue commercial. Elle n’a pas de compétence particulière en santé, cet aspect ne rentrant pas dans son champ de compétence qui est d’établir si un produit est, ou non, végane. Elle n’est pas au courant que SAFE mène par ailleurs une campagne anti-Nutri-Score et n’a pas été consulté ou averti à ce sujet [2].
  • Végétik (Belgique)
    Association belge francophone fondée en 2011 à Liège et dont l’objectif est “d’informer, de conscientiser les citoyens des problèmes engendrés par la surconsommation de produits animaux”. Elle revendique une centaine de membres et ne mentionne pas le Nutri-Score sur son site.

Nous pouvons nous demander si ces associations ont participé à la rédaction de ce rapport, voire même été informées de son contenu. En effet, d’autres membres de SAFE ont indiqué ne pas avoir été consultés. Par exemple, le Groupe européen sur l’obésité infantile n’a pas été informé du rapport et s’en désolidarise totalement (demandant même son retrait de SAFE et le déploiement du Nutri-Score en Europe de façon obligatoire). Ce rapport semble davantage refléter la position de la direction de SAFE (et donc des lobbys industriels et agricoles) et non celle de ses membres.

Associations véganes européennes d’importance

Il existe en Europe plusieurs centaines d’associations de protection animale et de promotion d’une alimentation majoritairement voire exclusivement végétale. De par le poids important de l’élevage dans les émissions de gaz à effet de serre et la perte de biodiversité, des ponts sont également de plus en plus fréquents avec les associations environnementales qui luttent contre le dérèglement climatique.

À l’exception de la Vegan Society, les associations véganes membres de SAFE ne peuvent pas être qualifiées de représentatives de ce mouvement à l’échelle européenne. Pour ne donner qu’un exemple, l’association française de protection animale L214 compte aujourd’hui une centaine de salariés et est, à elle seule, plus grosse que l’ensemble des 12 associations véganes membres de SAFE réunies.

Concernant les associations européennes d’ampleur qui promeuvent une végétalisation de l’alimentation, nous pouvons citer :

  • ProVeg International (Allemagne)
    Association qui œuvre dans le domaine du changement des systèmes alimentaires, elle est implantée dans 10 pays sur plusieurs continents. La mission déclarée de l’organisation est de réduire la consommation de produits d’origine animale de 50 % d’ici 2040. ProVeg organise le VegMed, un congrès médical international annuel sur les alimentations végétales, a le statut d’observateur permanent auprès de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), est membre de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et a obtenu en octobre 2022 le statut d’observateur auprès du GIEC. En 2022, ProVeg a également tenu le pavillon Food4Climate à la COP 27, avec l’objectif de placer la transformation des systèmes alimentaires et les régimes alimentaires durables végétalisés au cœur de cette COP.
  • Eurogroup for animals (Belgique)
    Créé en 1980, l’Eurogroup for Animals est une organisation à but non lucratif qui représente 70 organisations de défense des animaux dans 25 États membres de l’Union européenne, au Royaume-Uni, en Suisse, en Serbie, en Norvège, en Australie et aux États-Unis. Il milite au niveau européen pour un renforcement légal des normes en faveur du bien-être animal. Basé à Bruxelles, l’Eurogroup for Animals fournit des conseils et une expertise sur le bien-être des animaux à diverses institutions européennes, telles que la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen.
  • European Plant-based Foods Association (ENSA) (Belgique)
    Également basée à Bruxelles, l’Association européenne des aliments d’origine végétale représente les intérêts des fabricants d’aliments d’origine végétale en Europe. L’ENSA est une association d’entreprises opérant à l’échelle internationale et rassemblant aussi bien de grandes sociétés que des entreprises familiales productrices d’alternatives végétales aux produits laitiers et carnés. Depuis sa création en 2003, l’ENSA sensibilise au rôle des alimentations végétales dans l’évolution vers des modes de consommation alimentaire plus sains et durables.
  • The European Alliance for Plant-based Foods (EAPF) (Belgique)
    L’Alliance européenne pour les aliments d’origine végétale (EAPF) rassemble des organisations de l’industrie du végétal autour de la mission de mettre les aliments d’origine végétale au cœur de la transition vers des systèmes alimentaires plus sains et durables. L’Alliance représente l’ensemble de la chaîne de valeur des produits d’origine végétale : producteurs et fabricants de denrées alimentaires, ONG, nutritionnistes, chercheurs, universitaires et consommateurs.

Aucune de ces associations n’est membre de SAFE. À cette liste, nous pouvons également ajouter l’International Vegetarian Union, la European Vegetarian Union, la Vegetarian Society, ainsi que l’ensemble des branches européennes des associations internationales de protection animale (CIWF, OABA SPA, Welfarm, CNSPA, Peta, etc.) et différentes associations nationales impliquées dans la végétalisation de l’alimentation en lien avec les gouvernements et les collectivités.

Ces associations sont reconnues pour leurs expertises technique et scientifique dans des champs variés. Elles ont néanmoins en commun de promouvoir le véganisme, c’est-à-dire le boycott économique des produits d’origine animale pour appuyer des revendications politiques en faveur des droits des animaux.

Un obstacle puissant qu’elles affrontent, et oeuvrent à déconstruire, est que les alimentations végétales sont souvent perçues comme “non naturelles” (complémentation en vitamine B12, etc.), transformées (steaks végétaux, etc.), non artisanales et non liées au terroir ; des arguments également mobilisés contre le Nutri-Score. On a ainsi pu entendre Sébastien Vignette, le secrétaire général de la Confédération générale de roquefort, demander à ce que le roquefort soit exempté du système d’étiquetage et s’étonner que des “Des produits industriels ultra transformés avec des conservateurs peuvent avoir A ou B, alors que nos produits de terroir très naturels sont stigmatisés”. À cela, le Pr. Serge Hercberg répond que Même avec un signe de qualité ou d’origine (AOC/AOP, IGP, Bio, Label Rouge…), un produit gras, sucré ou salé reste un produit gras, sucré ou salé !.

Conclusion

Les associations véganes membres de SAFE sont des associations globalement modestes et sans compétence particulière en matière de santé. De par la pluralité des projets portés par SAFE, dont plusieurs sont favorables à la végétalisation de l’alimentation, il est difficile de conclure que les 12 associations véganes membres adhèrent à la campagne menée contre le Nutri-Score en particulier. Enfin, il existe au niveau Européen des associations faisant la promotion d’une alimentation plus végétale dont l’expertise et la représentativité sont bien plus significatives.

Le Nutri-Score est un outil de santé publique reconnu qui a fait la démonstration de son efficacité à orienter la population vers une consommation plus fidèle aux recommandations alimentaires (moins de charcuterie et de viande rouge, davantage de légumineuses, fruits et légumes, etc.). Le Nutri-Score est également bien souvent favorable aux aliments végétaux, globalement riches en vitamines et en fibres, et pauvres en graisses saturées et en fer héminique.

Contrairement à ce que la surreprésentation des associations véganes parmi les membres de SAFE peut laisser penser, les associations véganes sont, dans leur grande majorité, favorables au déploiement du Nutri-Score sur une plus large gamme de produits alimentaires. Cela aurait, entre autres conséquences bénéfiques pour la santé publique, d’encourager à un rééquilibrage des assiettes en faveur des aliments végétaux, notamment ceux riches en protéines végétales.

Considérant l’état de la recherche sur l’impact des labels alimentaires en général et du Nutri-Score en particulier, l’Onav, via son conseil scientifique, est favorable à un déploiement généralisé du Nutri-Score au niveau Européen.

Notes et références

Notes et références
1L’agriculture biocyclique végétalienne désigne une agriculture biologique purement végétale. Cette forme de culture exclut tout élevage commercial et abattage d’animaux et n’utilise aucun intrant d’origine animale. Un accent particulier est mis sur la promotion de la biodiversité, de la vie saine des sols, de l’exploitation de cycles biologiques circulaires et de l’accumulation d’humus. Depuis novembre 2017, le “Standard Biocyclique Végétalien” est disponible dans le monde entier en tant que norme mondiale accréditée par l’International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM).
2Entretien avec l’Onav du 17 novembre 2022.
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