Marie-Gabrielle Domizi est diététicienne-nutritionniste, membre du conseil scientifique de l’ONAV et membre de l’équipe pédagogique du projet Alimentation durable. Quelle est la place des diététiciennes et diététiciens dans le système de santé français ? Dans un contexte de réchauffement climatique, à quels enjeux l’éducation alimentaire des enfants répond-elle ? Est-il facile d’informer sur les pratiques alimentaires plus saines et durables et de faire évoluer les comportements ?
1/ Pouvez-vous nous présenter votre métier ?
Je suis diététicienne, je suis donc spécialiste de la nutrition humaine, un rôle bien plus vaste que le grand public ne semble le penser. En effet, la profession souffre d’une image relativement réductrice, voire erronée de notre pratique professionnelle. Les françaises et les français associent très fréquemment le mot diététique à celui de régime, lui-même est connoté « restriction alimentaire ».
L’idée voudrait que les diététiciennes et les diététiciens se cantonnent à être des spécialistes de la perte de poids et je saisis donc l’opportunité de souligner que nous sommes avant tout des actrices et acteurs de santé publique et que notre travail s’articule aussi bien auprès du bien portant que du malade, et cela quel que soit l’âge, les évènements de la vie ou encore le mode alimentaire.
Le ministère des solidarités et de la santé nous positionne d’ailleurs comme des éducateurs ou rééducateurs alimentaires.
2/ En parallèle de vos consultations, vous intervenez dans des écoles. Quelles sont les attentes en matière d’éducation alimentaire ?
En ce qui me concerne, parmi les différentes activités que me permet mon statut libéral, j’ai effectivement à cœur de m’investir auprès des enfants dans l’éducation à l’alimentation parce que cela répond à de nombreux enjeux en matière de santé (prévention), d’environnement (lutte contre le gaspillage alimentaire, responsabilité collective au travers des menus végétariens), de géopolitique (informer sur les ressources et leurs disponibilités, les modes de culture, la saisonnalité) et, bien sûr, enjeux d’un point de vue culturel et patrimonial (éduquer à la cuisine et aider à développer le système gustatif).
Je précise que j’ai voulu que ma mission soit tournée vers les fruits et les légumes parce que l’apprentissage des saveurs végétales me paraît bien plus importante à valoriser afin de pouvoir répondre aux enjeux précédemment cités, surtout auprès des enfants, un public connu pour y être réfractaire (ce n’est pas une légende mais nous ne pouvons pas aussi généraliser) et qui a tendance à associer le fait que si l’aliment est présenté comme sain alors il n’est pas agréable à la dégustation. C’est d’ailleurs en partie pour cela, que le fameux slogan du PNNS « manger 5 fruits et légumes par jour » a trouvé ses limites (pour ne pas dire qu’il a pu être contre-productif).
De nos jours, en matière culinaire, il est plus pertinent de connaître et savoir cuisiner des légumineuses par exemple que de savoir découper une escalope de poulet ou un filet de poisson. Si tant est que nous souhaitions en manger, il y aura toujours un artisan boucher ou bien un poissonnier pour le faire, mais par contre, qui le fera pour les céréales et les légumes secs ?
En allant dans les écoles je contribue à valoriser le message de Santé Publique France qui encourage la population à modifier ses habitudes alimentaires, sans renoncer au plaisir de manger.
Marie-Gabrielle Domizi
Il y a deux recommandations qui sont mises en exergue : augmenter sa consommation de légumes secs et aller vers les féculents complets. Ce mode alimentaire contribue en plus à réduire les disparités sociales en étant accessible au plus grand nombre. Les enfants sont en plus de très bons prescripteurs et je pense que cette démarche reste vertueuse tant qu’elle reste inclusive en regard des déterminants médicaux, économiques et culturels.
3/ Observez-vous un changement de tendance alimentaire dans les écoles ?
J’exerce depuis plus d’une vingtaine d’années, ce qui me permet d’avoir un regard assez large sur l’évolution de la consommation de la population française et, ainsi, de constater que les habitudes ont passablement évolué mais aussi que le budget alimentation a fortement diminué (ce qui est confirmé par les statistiques de l’Insee).
C’est donc pour moi une motivation supplémentaire pour intervenir en milieu scolaire et agir dans différents secteurs et auprès de différentes classes sociales : je vais aussi bien en zone péri urbaine (Alpes de Haute Provence, campagne aixoise, etc.) que dans les grandes agglomérations (Marseille, Toulon, Aix en Provence), et dans différentes zones éducatives : des zones d’éducation prioritaires REP/REP+ aux établissements privés. C’est donc un panel assez large et représentatif de la société.
Depuis deux ans, je constate, toutes écoles confondues, que je suis confrontée à des élèves sensibles à l’impact de leur alimentation en matière d’écologie et même de bien-être animal. C’est souvent parce qu’ils sont sensibilisés en amont par leurs parents, leur culture (religion) voire par l’actualité. De manière systématique, j’accorde un temps d’explication, même court, pour présenter de « nouveaux » aliments comme les boissons végétales, le tofu ou bien parler de qualité au travers des labels comme celui de l’agriculture biologique ou bien encore de notions comme la durabilité, cela parce des élèves auront mis le sujet en avant.
À ce sujet, pour mes interventions, je suis équipée d’outils pédagogiques conformes aux exigences du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et il est de plus en plus évident pour moi que ces outils trouvent leurs limites en termes d’inclusivité. Avec l’expérience, je sais que le public des enfants nous impose de devoir faire preuve de souplesse et d’adaptabilité. Je précise que dans mon exemple, le tofu qui est un aliment millénaire, ne revêt un caractère « nouveau » que pour les petits occidentaux habituellement éduqués à l’assiette française. De fait, mes petites incartades sont toujours très bien accueillies de la part des élèves et des enseignants. Jusqu’ici, j’ai toujours été remerciée et encouragée dans cette démarche d’ouverture et d’éducation vers le monde.
4/ Avez-vous une anecdote récente que vous souhaitez partager ?
J’aurais plein d’anecdotes intéressantes mais si je dois m’attarder sur l’une d’elles, je dois dire que celle que j’ai vécu le mois dernier m’a vraiment émue.
Alors que j’intervenais dans une classe de CM1 en zone d’éducation prioritaire à Marseille, j’étais confrontée à un public très hétérogène : des enfants porteurs de handicaps, de religions différentes, certains ne parlaient que très peu français… quand j’évoque la nécessité de faire preuve d’adaptabilité c’est une réalité de terrain. Nous parlions du petit déjeuner et alors que l’un des élèves expliquait qu’il ne mangeait pas de jambon du fait de sa religion, une autre prenait à cœur d’expliquer qu’elle buvait une boisson végétale de petit épeautre et de noisettes. Ceci aurait eu de quoi interroger ses camarades mais ils ont préféré faire preuve de moqueries à son égard. Pour moi, ce n’est pas acceptable dans un sens comme dans l’autre que les préférences personnelles, peu importe les raisons qui les motivent, ne soient pas respectées. Nous avons donc pris un temps pour que chacun explique en quelques mots pourquoi dans un cas il ne mangeait pas de cochon et pourquoi dans l’autre elle ne buvait pas de lait de vache (végétarisme), mais aussi pour expliquer ce qu’était le petit épeautre. Ils ont compris qu’ils avaient des habitudes différentes mais tout aussi respectables et qui se rejoignent quelque part.
La jeune élève est venue me trouver à la fin du cours pour me remercier et me préciser que mon intervention allait l’aider à ce que les autres ne se moquent plus d’elle. Son sourire reste pour moi la meilleure récompense. Je crois que l’on peut rajouter à la liste des enjeux de l’éducation à l’alimentation dans les écoles celui de l’apprentissage de la tolérance. Il faut éveiller en eux le respect et lutter aussi tôt que possible contre les préjugés.