Nous constatons depuis plusieurs semaines une augmentation de la désinformation concernant la nutrition. Cela peut prendre différentes formes : faire croire qu’il existe une controverse sur un sujet alors qu’il existe un consensus, partir d’un élément qui peut être sujet à discussion pour ensuite faire passer l’idée “qu’on nous ment”. Ces discours sont tenus avec beaucoup d’assurance. On observe une victimisation en déformant et amplifiant les propos tenus dès qu’on essaie de les critiquer rendant impossible une quelconque discussion.
Nous tenons à réaffirmer certains points :
- Le Nutri-Score
C’est un outil de santé publique d’évaluation de la qualité nutritionnelle, mis en place pour la première fois en France 2017 et qui évolue au fur et à mesure des connaissances nutritionnelles. Il est coordonné par Santé publique France en s’appuyant sur les travaux des équipes du Pr Serge Hercberg. Cet algorithme a été mis à jour en 2023, quelques éléments de cette mise à jour sont présentés ici. Il consiste en un logo de couleur apposé sur les paquetages des aliments permettant une synthèse sur la contenance en nutriments des aliments de A “bon” à E “à limiter”. L’évaluation du Nutri-Score est basée sur la teneur pour 100 g de produit en éléments ou nutriments dits défavorables (énergie, sucre simples, acides gras saturés et sel) et favorables (protéines, fibres et proportion de fruits et légumes). Ce système d’étiquetage nutritionnel validé scientifiquement oriente vers des choix alimentaires plus sains (Deschasaux-Tanguy et al., 2024; Hercberg et al., 2022; Sarda, Manneville, et al., 2024). Il a montré son efficacité pour modifier le comportement des consommateurs et consommatrices vers des aliments avec une meilleure composition nutritionnelle (Courbet et al., 2024). Il a également incité les industriels à reformuler leurs produits (Roberto et al., 2021).
Exemples de “Fake-news” fréquentes sur le Nutri-Score
- “Il est calculé pour 100g d’aliments, or certains aliments ne sont consommés qu’en petite quantité”. Cela s’explique car les tailles des portions ne sont pas définies. Ainsi pour une même catégorie d’aliment si l’un indique des portions de 30g l’autre 40g cela pourrait indiquer un score différent, alors qu’on en mange la même quantité au final. Calculer le Nutri-Score sur une même base, 100g ou 100 mL, c’est permettre une comparaison juste.
- “Il ne tient pas compte de l’ultra-transformation”. C’est un critère qui est encore mal défini, ce qui le rend difficile à utiliser. La classification NOVA (qui évalue la transformation d’un produit. La 4e catégorie correspondant aux produits dits ultra-transformés) et le Nutri-Score évaluent des aspects différents mais complémentaires des aliments (Galán et al., 2021). Il existe une certaine corrélation entre ces deux systèmes, une étude menée sur 79 512 aliments NOVA 4 présents dans la base de données OpenFoodFacts retrouvent pour 87,5 % des Nutri-Score C, D ou E (Sarda, Kesse-Guyot, et al., 2024). Une signalétique comprenant à la fois le Nutri-Score et la transformation semble prometteuse (Srour et al., 2023).
Si vous voyez des critiques sur le Nutri-Score et que vous souhaitez savoir si celles-ci sont légitimes ou si elles relèvent de la désinformation, allez voir sur le site https://nutriscore.blog Il y a de fortes chances que vous trouviez la réponse à la critique soulevée.
- Il est nécessaire de réduire notre consommation de viande
Déjà dès 2007, le fonds mondial de recherche contre le cancer et l’institut américain de recherche contre le cancer ont établi deux recommandations fortes qui sont de limiter la consommation de viande rouge à 500 g par semaine et d’éviter la consommation de charcuterie (Cross et al., 2007). Depuis 2015, le Centre international de recherche sur le cancer classe la viande la viande transformée comme « cancérogène » (Groupe 1) et la viande rouge comme « probablement cancérogène » (Groupe 2A) (Bouvard et al., 2015). Le World Cancer Research Fund International, recommande quant à lui de « limiter sa consommation de viande rouge à trois portions maximum par semaine » et de « ne consommer que très peu, voire pas du tout, de viande transformée ».
Les revues systématiques et méta-analyses indiquent des associations statistiquement significatives entre la survenue de certains cancers et la consommation de viandes rouges et transformées. La consommation de viande rouge était significativement associée à un risque accru de cancer du sein, de cancer de l’endomètre, de cancer colorectal, de cancer du côlon, de cancer rectal, de cancer du poumon et de carcinome hépatocellulaire. La consommation de viande transformée était significativement associée à un risque accru de cancer du sein, de cancer colorectal, de cancer du côlon, de cancer rectal et de cancer du poumon. La consommation totale de viande rouge et transformée était significativement associée à un risque accru de cancer colorectal, de cancer du côlon, de cancer rectal, de cancer du poumon et de cancer des cellules rénales (Farvid et al., 2021; Händel et al., 2020). Il existe des associations significatives, dose-dépendantes et dont les mécanismes explicatifs sont connus entre la survenue de certaines pathologies et la consommation de viande rouge et de viande transformée. Ces éléments renforcent la causalité entre ces pathologies et leur consommation.
Il existe un consensus international pour diminuer de façon importante la viande, notamment rouge, pour toutes ces raisons. L’OMS recommande que la viande ne soit plus considérée comme centrale dans l’assiette et encourage les pays comme la France à diminuer fortement la consommation de viande rouge au vu de l’impact sur la santé publique et sur l’environnement (OMS, 2021 et OMS, 2023).
L’Anses a également établi un certain nombre de pathologies en lien avec une consommation excessive de viande rouge. Fort de ces éléments les recommandations en France sont de ne pas consommer plus de 500 g de viande rouge par semaine. D’autres pays qui ont pris en compte l’aspect environnemental préconisent plutôt de ne pas dépasser 300 g/semaine, parfois toute viande confondue.
Il apparaît utile de rappeler que d’après l’étude Esteban 2014-2016, deux tiers des Français (70 % des hommes et 57 % des femmes) consomment trop de viandes transformées par rapport aux recommandations, et un tiers (41 % des hommes et 24 % des femmes) consomment trop de viandes rouges.
Les intérêts financiers nuisent gravement à la santé publique
Les intérêts industriels et financiers pouvant conduire à des résultats et/ou une communication qui vont à l’encontre des données scientifiques indépendantes et de la santé publique. Les études avec un lien d’intérêt avec l’industrie ont 21 fois moins de chance d’être favorable au Nutri-Score (Besancon et al., 2023; Garde et al., 2024; Hercberg, 2024).
Force est de constater que de nombreuses allégations contre le Nutri-Score sont le fait des lobbys agro-alimentaires. Il s’agit de ne pas prendre les fausses informations, pour des critiques légitimes. Les fausses informations, répétées en boucle, ne servent qu’à créer de l’incertitude. Les réponses sont apportées sur le site https://nutriscore.blog. Il existe bien des critiques légitimes qui font partie du débat scientifique et qui contribuent à l’amélioration du Nutri-Score.
En 2019, une étude controversée a remis en cause le lien entre consommation de viande et cancer, concluant qu’il n’existait pas de preuve suffisante pour recommander de la réduire (Johnston et al., 2019). Son auteur principal, Bradley Johnston, déclarait : « Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que la viande rouge ou transformée provoque le cancer, le diabète ou les maladies cardiaques », qualifiant les réactions négatives d’« hystériques ».
Cette publication a été vivement critiquée par l’American Heart Association, l’American Cancer Society et la Harvard T.H. Chan School of Public Health, qui y voyaient un risque de « nuire à la santé publique et d’éroder la confiance envers la science nutritionnelle ». L’étude minimise les impacts collectifs et ignore les dimensions environnementales et “One Health”.
Johnston n’en est pas à son premier conflit d’intérêt : en 2016, il avait déjà publié une étude financée par l’International Life Sciences Institute (ILSI), organisation liée à McDonald’s, Coca-Cola, PepsiCo et Cargill. Des courriels révélés par l’Associated Press ont montré que l’ILSI avait « examiné » et « approuvé » le protocole, malgré les dénégations initiales des auteurs (New York Times, 2019).
Enfin, une revue récente des liens entre viande rouge et maladies cardiovasculaires indique que 66 % des études présentent des liens avec l’industrie ; parmi celles sans lien, 73 % rapportent un effet défavorable de la viande rouge sur la santé cardiovasculaire (López-Moreno, Fresán et al., 2025).
Parfois on accuse les scientifiques de refuser le débat. Or ce qui est refusé ce sont les discussions inutiles et de mauvaise foi qui sont répétées en boucle pour saturer l’information et donner l’impression que le débat serait légitime. Les discussions qui font avancer nos connaissances, dans le respect des données et des personnes, sont celles qui continuent de nourrir la santé publique. De même, il est souvent fait la critique que le Nutri-Score ou la recommandation de limiter sa consommation de viande viendraient “interdire” certains aliments alors qu’il existe une nuance certaine entre “limiter” et « interdire”. Alors qu’il s’agit d’informer correctement et de remettre les choses à une place plus juste.
Dr Sébastien Demange
Spécialiste en médecine générale
Master de santé publique
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BIBLIOGRAPHIE
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Deschasaux-Tanguy, M., Huybrechts, I., Julia, C., Hercberg, S., Sarda, B., Fialon, M., Arnault, N., Srour, B., Kesse-Guyot, E., Fezeu, L. K., Biessy, C., Casagrande, C., Hemon, B., Weiderpass, E., Pinho, M. G. M., Murphy, N., Freisling, H., Ferrari, P., Tjønneland, A., … Touvier, M. (2024). Nutritional quality of diet characterized by the Nutri-Score profiling system and cardiovascular disease risk : A prospective study in 7 European countries. The Lancet Regional Health – Europe, 0(0). https://doi.org/10.1016/j.lanepe.2024.101006
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Johnston, B. C., Zeraatkar, D., Han, M. A., Vernooij, R. W. M., Valli, C., El Dib, R., Marshall, C., Stover, P. J., Fairweather-Taitt, S., Wójcik, G., Bhatia, F., de Souza, R., Brotons, C., Meerpohl, J. J., Patel, C. J., Djulbegovic, B., Alonso-Coello, P., Bala, M. M., & Guyatt, G. H. (2019). Unprocessed Red Meat and Processed Meat Consumption : Dietary Guideline Recommendations From the Nutritional Recommendations (NutriRECS) Consortium. Annals of Internal Medicine, 171(10), 756‑764. https://doi.org/10.7326/M19-1621
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Sarda, B., Manneville, F., Kesse-Guyot, E., Srour, B., Déschasaux-Tanguy, M., Fezeu, L. K., Galan, P., Hercberg, S., Touvier, M., & Julia, C. (2024). The updated nutrient profile underlying the Nutri-Score label and adult weight gain : A cohort study. European Journal of Public Health, 34(Supplement_3), ckae144.294. https://doi.org/10.1093/eurpub/ckae144.294
Srour, B., Hercberg, S., Galan, P., Monteiro, C. A., Edelenyi, F. S. de, Bourhis, L., Fialon, M., Sarda, B., Druesne-Pecollo, N., Esseddik, Y., Deschasaux-Tanguy, M., Julia, C., & Touvier, M. (2023). Effect of a new graphically modified Nutri-Score on the objective understanding of foods’ nutrient profile and ultraprocessing : A randomised controlled trial. BMJ Nutrition, Prevention & Health, 6(1). https://doi.org/10.1136/bmjnph-2022-000599







